Aujourd’hui, je voudrais mettre un focus sur la dimension humaine de la gestion de crise.
Lorsque la crise arrive, on parle d’une première phase dite de sidération. C’est le moment où les repères disparaissent. On se trouve confronté à l’inconnu, il n’existe plus de référentiel et on ne voit pas d’issue. Le monde s’effondre et on le regarde faire. C’est vrai pour les crises extrêmes, celles qui sont médiatisées et impactent la société, mais c’est vrai aussi pour les crises discrètes, auxquelles chacun peut un jour se trouver confronté, dans sa vie personnelle ou professionnelle.
La gestion de crise, dans sa réalité la plus concrète, est très loin des clichés hollywoodiens où le héros prend les commandes, élimine les menaces et ramène tout le monde à bon port.
A l’exception de quelques individus spécifiquement entraînés à évoluer en milieu hostile, tout un chacun connaîtra à ce moment-là cette saturation émotionnelle qui fige la réflexion et empêche la réaction. C’est d’ailleurs l’un des intérêts majeurs d’une préparation à la gestion de crise que d’apprendre à connaître cet état pour pouvoir l’identifier lorsqu’il surviendra et en sortir au plus tôt afin de passer à l’action.
Cette phase de sidération passée, l’adrénaline monte et c’est l’effervescence. Il faut, de façon quasi simultanée, penser à tout : évaluer la situation, analyser l’impact, identifier les parties prenantes, endiguer, éviter la « crise dans la crise », lister les besoins, mobiliser des ressources, communiquer, établir un plan de retour à un mode nominal, pour ne citer que quelques points principaux.
Cette seconde phase est aussi le moment de la prise de conscience abrupte de la grande solitude du dirigeant, du chef. C’est lui qui va donner les ordres et faire sortir chacun de sa phase de sidération. De la finance au management, en passant par le commerce et la production, il avait déjà plusieurs métiers. Il a maintenant quelques minutes pour en apprendre un nouveau, celui de « gestionnaire de crise ».
Parfois, il ne prend pas ce temps nécessaire à la prise de conscience. Il part alors seul sur un terrain inconnu et progresse inexorablement vers la catastrophe. Par ignorance ? par orgueil ? sans doute, mais surtout par peur de la catastrophe imminente. L’émotion prends le pas sur la raison. Il croit de façon quasi mystique que le passage à l’action va « conjurer le sort ». Il est victime d’un effet d’œillères et se focalise sans préparation sur la résolution du problème. C’est le fameux « il faut agir ! ». Agir, oui, mais avec ordre et raison.
Parfois en revanche, il parvient à mobiliser les énergies et l’on voit naturellement émerger des compétences, des envies, des personnalités qui se fédèrent et s’organisent autour de lui. On sait alors que l’on a toutes les chances de sortir au mieux de la situation.
La crise est un moment fort où tout ne peut être que vrai. C’est le moment où l’on travaille sans filet, c’est la confrontation à la réalité. Les masques tombent, les personnalités se révèlent, à tel point qu’il faut parfois accepter qu’émerge un nouveau leader qui sait naviguer dans ces eaux troubles et éviter les écueils. Dans ce cas, le laisser à la manœuvre tout en lui apportant son soutien est une réelle compétence du dirigeant. Mettre son égo de côté dans ces moments est la bonne posture.
Le problème de la gestion de crise est davantage humain que technique. Techniquement en effet, l’entreprise dispose de toute la connaissance nécessaire et est la meilleure experte d’elle-même.
Sur le plan humain en revanche, l’accroissement subit de la charge mentale peut exacerber les faiblesses. A ce moment, les biais perceptifs et cognitifs (culturels, émotionnels, ...) devraient être plus que jamais canalisés. Or la pression, l’urgence, la fatigue émotionnelle et physique grandissantes et parfois aussi la peur peuvent prendre le dessus, occulter les réalités du terrain et les dangers qui peuvent en découler. Le risque est alors très élevé de voir se déclencher, pour des raisons humaines, une crise dans la crise (conflit de personnes, importation dans le domaine privé des tensions professionnelles).
En accompagnement à la gestion de crise, il ne s’agit surtout pas de se substituer au dirigeant mais plutôt d’être un véritable support en l’éclairant sur l’organisation à privilégier, en l’aidant à réfléchir à ses choix stratégiques mais surtout en le soutenant sur le plan humain. C’est l’un des axes majeurs de la mission. Le consultant est la touche de sérénité nécessaire à la pause émotionnelle. Il est celui qui rassure, qui conforte, qui disperse la brume, qui avertit des écueils.
Bien sûr, il met son expérience des entreprises au service du dirigeant, mais son rôle est essentiellement d’amener l’équipe à donner le meilleur d’elle-même et à surmonter les obstacles. Comme le coach sportif pendant un combat, il l’aide à tenir dans la durée, à découvrir ses capacités et mieux connaître son fonctionnement face à la pression pour ensuite la gérer efficacement. Il écoute et observe l’équipe pour aider à identifier les compétences et les rôles naturels, détecter les signes d’usure, proposer des axes de travail, puis en dernière phase des axes d’amélioration.
La crise est une véritable lessive émotionnelle et intellectuelle. Résumons la démarche de gestion de crise en quelques étapes clés et points de vigilance :
Enfin, ne perdons pas de vue les deux règles essentielles à la gestion de crise :
Pour illustrer notre propos, lire le témoignage du dirigeant de la Boutique du Rhum, confronté à une crise importante récemment et que nous avons accompagné durant cette période de tension.
Olivier DEBROSSE