La crise sanitaire annonce, d'ores et déjà, une crise économique et sociale. Même si le soutien de l'Etat permet de limiter la casse à court terme, la reprise n'est en rien acquise. L'économie, fragilisée, subit un 2e coup d'arrêt. Les problèmes financiers des entreprises et les ajustements qu'elles feront nécessairement, les conséquences sur l'emploi et sur le revenu des ménages risquent de diffuser la crise de secteurs en secteurs.
Le commerce traditionnel est violemment impacté au bénéfice du e-commerce, le tissu industriel est fragilisé et la baisse de la consommation enraye le moteur de la croissance. Ces facteurs génèrent une pression sur les prix, déjà mesurable (l'inflation est tombée à zéro ces 2 derniers mois). Dans ces périodes tendues, le coût des services externalisés est souvent une variable d'ajustement pour les entreprises qui cherchent à abaisser leur point mort.
La sécurité privée ne fera pas exception à ce phénomène. Le danger, pour le secteur, serait de baisser ses prix pour s'adapter et faire face à la demande de réduction de coûts des clients. Au-delà d'affecter la profitabilité, cela relancerait la course au moins-disant, un mal profondément ancré depuis des années. Cette situation d’hyper-concurrence pourrait aussi entrainer des tensions au sein de la profession. L'unité affichée depuis 2019, encore en devenir, risque d'être mise à mal, ce qui encouragerait les pratiques délétères, alimentant ainsi la spirale négative. Les appels à la solidarité, au bon sens, à l'union, dans le contexte sociétal d'aujourd'hui, encore davantage dégradé par cette période, ne serviront pas à grand-chose. L'individualisme risque fort d'être la règle. Il ne faut donc pas vraiment compter sur une quelconque "concorde" des entreprises de sécurité privée.
Le pire n'est jamais sûr mais le scénario pourrait être le suivant : difficultés économiques se propageant par effet de domino, défaillances en cascade et plans de réduction des coûts, répercussion dans les politiques d'achat, mises en concurrence avec l'objectif de diminution budgétaire, baisse des prix des entreprises de sécurité privée, les unes pour conserver leurs parts de marché actuelles, les autres pour compenser les pertes ou continuer à exister, aggravation de la tendance déflationniste.
Risques liés à ce scénario : sous-traitance en cascade, non-respect des exigences contractuelles ou pire, de la conformité réglementaire et de la législation sociale, dégradation des conditions de travail des agents de sécurité, perte de revenu, recours accru au double-emploi avec les conséquences désastreuses sur le niveau de fatigue et de vigilance, turn-over, désaffection dans la profession, difficultés de recrutement. A court terme, la conséquence peut être une dégradation sensible de la sûreté sur les sites des donneurs d'ordre. A plus long terme peut se poser la question de la capacité à assurer la sécurité des grands évènements prévus en France par tarissement des ressources formées et opérationnelles.
Seuls les clients - en apparence seulement - y trouveraient leur compte. En réalité ils seraient impactés et le risque se propagerait bien au-delà des seuls opérateurs de sécurité privée. C'est la qualité des prestations de ces derniers, la robustesse et la fiabilité des dispositifs dont ils ont la charge qui peuvent être affaiblies et donc, dans une certaine mesure, la sécurité globale dont on parle tant aujourd'hui. Au moment où les débats parlementaires semblent miser sur une place plus importante de la sécurité privée au sein de celle-ci, il serait dommage de freiner cet élan et de ternir durablement la confiance naissante.
Le salut peut venir d'une prise de conscience de ces enjeux par les acteurs de la profession eux-mêmes. Ils pourraient être soutenus par les donneurs d'ordre, qui dans leur propre intérêt, devraient contribuer à maintenir leurs prestataires en condition opérationnelle, tout comme leurs systèmes de protection. C'est peut-être même l'occasion pour eux de remettre en question et d'adapter leurs dispositifs, sans sacrifier à la qualité, en vérifiant l'adéquation des services aux besoins, en évaluant leurs prestataires et en les accompagnant dans la voie de l'excellence. Audits, tests, révision des systèmes de management sûreté ou sécurité sont les outils à leur disposition.
C'est aussi l'occasion, pour les professionnels de la sécurité privée, de s’élever, de monter en compétences, en fiabilité, en professionnalisme. Ceux qui auront cette volonté et ce courage s'en tireront mieux que les autres. Ils surmonteront mieux cette crise grâce à leur engagement auprès de leurs clients, à leur capacité à s'adapter et à conserver une ligne de conduite fidèles aux valeurs qu'ils mettent en avant. C'est par le haut qu'il faudra sortir de cette crise. Conserver un fort niveau de qualité, voire l'augmenter encore, favoriser la transparence et la proximité avec ses clients sont des axes de travail à privilégier.
Il est aussi souhaitable d'innover, pas uniquement par la technologie mais aussi par des méthodes de management, des process, des organisations différentes. Faire des efforts de gestion sociale pour ménager ses équipes, ne pas leur répercuter les aspects les plus négatifs de la crise, maintenir des conditions de travail et de rémunération correctes, prendre soin d'elles permettra d'affronter la tourmente dans de meilleures conditions. Les collaborateurs sauront se souvenir de cette attention et leur investissement n'en sera que plus fort. Les clients aussi, qui comprennent bien que la solidité de leurs dispositifs repose aussi sur l'engagement et la fidélité des hommes au quotidien.
Autre aspect des temps actuels, la crise sociale qui se profile pourrait générer une explosion du même nom. Au minimum elle va engendrer de la crispation et, par conséquent, probablement des risques de dégradations, vols, agressions, destructions. Evidemment ces périodes chaotiques sont également propices à la criminalité informatique, la recrudescence des cas depuis quelques mois le démontre. Les conditions d'une augmentation du risque de malveillance se mettent clairement en place. Comme évoqué plus haut et au risque de paraitre alarmiste, c'est donc la sécurité globale qui risque d'être atteinte, dans une période où il faut plutôt qu'elle soit renforcée !
On peut avancer quelques pistes ou débuts de solutions pour les entreprises de sécurité privée : maintenir les fondamentaux d’une gestion rigoureuse et déontologique, accepter la crise et l’incertitude et investir dans la qualité, la fiabilité, la proximité. Absorber la pression et éviter de la répercuter sur les équipes (valable pour les dirigeants d'entreprises de sécurité privée comme pour les donneurs d'ordre). Ne pas sacrifier ses prix et ses marges, déjà structurellement faibles. A dégrader sa rentabilité et ses capacités financières on finit par perdre toute marge de manœuvre. Ceux qui sortiront grandis et renforcés sont ceux qui auront réussi à rester fidèles aux valeurs de tout bon entrepreneur, qui auront accompagné leurs clients sans renier leurs principes et sans compromettre leur santé financière, qui auront partagé leur vision pour se conforter dans leurs choix. C'est ce qui renforcera leur image sur le marché, y compris aux yeux de leurs concurrents même si ceux-ci ne l'avoueront pas et leur offrira la capacité à saisir les opportunités au sortir de la crise.
Les organisations patronales doivent évidemment jouer un rôle et accompagner efficacement les professionnels, par des conseils avisés, par des actions concrètes fédératrices et régulatrices et par un lobbying fort auprès des pouvoirs publics.
La gestion de cette crise amène beaucoup de questions et impose des arbitrages difficiles aux dirigeants de la sécurité privée, nul doute qu'il sauront trouver les bonnes réponses.
Le secteur s’en sortira par le professionnalisme, entre professionnels.
Gérard Gros